POUR CHRISTINE ET TOUTES LES AUTRES
Nous portons la première contribution générale féministe de l’histoire du parti socialiste, parce qu’il est temps que le féminisme irrigue enfin le socialisme, et non que le féminisme s’adapte au socialisme, comme ce fut toujours le cas jusqu’à présent.
Nous portons la première contribution générale féministe, parce que le féminisme est la matrice politique la plus radicale sur tous les sujets. Nous revendiquons cette force motrice.
Nous la portons dans le cadre du 80ème congrès du parti socialiste parce que c’est notre formation politique qui doit être en mesure de réaliser les espoirs de millions de femmes à travers notre pays.
Nous aurions pu l’écrire en suivant les canons des congrès. Cela aurait été, une fois de plus, nous imposer un cadre plutôt que d’inventer le nôtre.
Nous avons donc choisi de la raconter sous la forme d’un dialogue.
Cela revient à assumer que le mouvement féministe est traversé de débats intenses, parfois virulents.
Certains perçoivent ces débats comme des échecs. Nous les voyons comme un moteur de la vie démocratique.
D’autres se les figurent comme des conversations de salon. Nous leur répondons qu’on ne devient pas féministe sans avoir fait l’expérience intime de l’ordre de domination le plus ancien, le plus ancré et le plus enraciné qui soit : le patriarcat. Celui qui ne le comprend pas n’est pas digne de se dire de gauche.
À l’heure où notre parti a assumé son ancrage à gauche, au moment où il s’attache à bâtir un chemin pour retrouver une place centrale à gauche, afin de redonner en France une place centrale à la gauche, nous voulons contribuer à poser radicalement, et sans conditions, la question féministe par excellence : la question de l’égalité réelle.
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Le cortège est arrivé à destination. Les oratrices ont déjà pris la parole. Elles attendent, épaule contre épaule, piétinant sur le pavé, que la voie se libère. Certaines s’efforcent de replier leurs banderoles avec des gestes parcimonieux. La tension est retombée, mais il reste encore ce sentiment galvanisant d’avoir eu la rue à soi, sa voix unie à celle des autres pour faire entendre ce combat que l’on sait infiniment juste.
Sa pancarte sous le bras, Audrey se hisse sur la pointe des pieds. Elle jette un œil sur la marée humaine qui s’étend face à elle. Elle contemple ces silhouettes de femmes, d’hommes, de jeunes, de moins jeunes – et ces enfants qu’on a hissés sur les épaules pour leur permettre de prendre la mesure du moment qu’ils ont vécu.
Quand soudain, un mouvement de foule la fait trébucher : la police a fermé toutes les rues adjacentes et la foule se presse pour éviter les bombes lacrymogènes. Comme elle a pris l’habitude de le faire depuis le mouvement des Gilets Jaunes, la police n’a laissé qu’un seul point de sortie aux manifestants. Une femme retient Audrey dans sa chute.
– La doctrine du maintien de l’ordre de ce gouvernement, voilà bien un truc viriliste à la con, s’amuse Marie-Claire.
– Je ne te le fais pas dire.
Marie-Claire a 60 ans, Audrey en a 20, elles se croisent pour la première fois dans un cortège et l’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais Audrey jette un œil sur la pancarte que Marie-Claire porte toujours sur l’épaule et éprouve une soudaine envie de prolonger la conversation.
– « Féminisme, nom masculin : doctrine qui préconise l’égalité entre l’homme et la femme. (Dictionnaire le Robert). » Joli. Je ne sais pas ce qui m’amuse le plus : si c’est le fait que tu rappelles que « féminisme » est un nom masculin ou si c’est la référence au Dico. Plus institutionnel, tu meurs.
Marie-Claire sourit.
– Tu sais, c’est parfois utile de rappeler qu’il y a des choses qui se sont institutionnalisées. Ça permet de se souvenir que le combat féministe est un long combat, qu’il y a eu des victoires, que ce n’était pas gagné d’avance et qu’il y en a encore d’autres à gagner.
– Mais « nom masculin » ? Quand tu penses que même « féministe », c’est un mot qui n’est pas à nous. C’est le fils Dumas qui l’a trouvé. Il l’a piqué aux médecins. Pour lui, défendre la cause des femmes, c’était pathologique. Maintenant, des mecs expliquent soit qu’on est des féminazies, soit qu’on est fragiles. Ça me donne envie de hurler.
– Ce sont les droits des femmes qui sont fragiles. Ça fait plus de quarante ans que je marche. Je suis de toutes les manifs. Je n’en ai pas manqué une. Si j’ai bien une certitude, c’est qu’il y aura toujours des gens qui chercheront à revenir en arrière. Il ne faut rien lâcher, jamais rien.
Défendre les droits reproductifs, c’est aussi défendre la démocratie
La place s’est progressivement vidée. Les ami·es de Audrey ont fini par la retrouver et l’attendent pour aller boire un verre, mais elle leur a répondu qu’elle les rejoindrait plus tard. Elle et Marie-Claire se sont assises sur le trottoir.
– Tu sais, reprend Marie-Claire, je suis sérieuse quand je dis qu’on n’est pas à l’abri d’un retour en arrière… Au Sénat, la droite refuse d’inscrire les droits reproductifs dans la Constitution. Fillon t’expliquait qu’à titre personnel, il n’était pas favorable à l’avortement. Mais ça veut dire quoi, « à titre personnel » ? Ça veut dire qu’on instille le doute. Qu’il est possible de revenir dessus. C’est toujours comme ça que ça commence.
– Oui, opine Audrey, et l’extrême droite, je n’en parle même pas. Quand elle se pose en défenseuse des droits des femmes, tu peux être sûre que c’est pour s’en prendre aux étrangers, aux migrants, aux musulmans…
– Ou pour gagner des électrices, parce que les femmes, ça a longtemps été leur point faible. Mais je n’ai aucun doute : elle fera tout pour revenir en arrière si un jour elle arrive au pouvoir. Elle n’ira pas d’un seul coup. Elle commencera d’abord par revenir sur la loi contre le délit d’entrave à l’IVG, au nom de la liberté de conscience…
– …puis elle réduira le financement des centres de soins qui pratiquent l’avortement, complète Audrey, elle rendra plus difficile l’accès à la contraception, puis elle ajoutera des restrictions. C’est exactement comme ça que ça s’est passé en Pologne.
– C’est pour ça qu’il faut inscrire les droits reproductifs dans la Constitution. Pour les protéger, nous protéger. Mais il faut aussi le porter en Europe. La Pologne, ce n’est pas le seul pays où ça devient grave. À Malte, c’est totalement interdit. En Hongrie, maintenant, avant d’avorter, on t’oblige à écouter le cœur du fœtus. En Irlande, c’est autorisé depuis trois ans avec un accès encore compliqué. Sans parler de l’Italie : les médecins objecteurs de conscience sont déjà nombreux. Avec l’arrivée de l’extrême droite, il va falloir être aux côtés des Italiennes.
– Au Parlement européen, il y a bien une résolution qui a été adoptée pour intégrer le droit à l’avortement sûr et légal dans la Charte des droits fondamentaux. Mais quand on voit ce que fait la Commission pour faire appliquer cette charte en Hongrie et en Pologne, on se demande à quoi elle sert.
– Il y a quand même un truc qui ne change pas : quand des réacs arrivent au pouvoir et cherchent à restreindre les libertés, ils commencent toujours par s’en prendre aux droits des femmes, aux LGBT et aux minorités.
– C’est pour ça que la loi ne suffit pas, Marie-Claire : il faut aussi que ça se traduise dans les faits. L’accès à l’IVG, ça commence à être compliqué aussi en France. Il n’est pas garanti partout. Tu vas en banlieue ou à la campagne, c’est la croix et la bannière pour trouver un·e gynéco qui le pratique.
Deux générations de féminisme
– Si on ne maintient pas la pression, il ne se passera rien. Ça a toujours été comme ça. Comment tu crois qu’on a obtenu le droit de vote ? Ce n’est pas parce que De Gaulle l’a décidé – la droite adore raconter ça – mais c’est parce que des femmes comme Hubertine Auclert, cinquante ans avant, ont commencé à se battre pour ça. On peut remonter plus loin, à Olympe de Gouges. Si on a obtenu les droits reproductifs, si on a obtenu l’égalité professionnelle et la parité — enfin, en théorie… —, c’est parce qu’on s’est mobilisées.
– C’est vrai que même à gauche…
– Même à gauche ! Les droits des femmes, ça a d’abord été hors circuit par rapport aux « droits de l’Homme ». Ils ont mis du temps à comprendre que l’égalité entre les femmes et les hommes commençait par notre liberté à disposer de nos corps.
– Tu sais, ajoute Audrey, ce que tu racontes sur l’histoire du féminisme et de la gauche, sur le fait qu’on doive sans cesse se battre, se mobiliser, pour moi c’est exactement ça le patriarcat : un système dans lequel les hommes ont toujours le premier rang. Ce n’est pas qu’une histoire de droits et de conquêtes de droits. C’est d’abord un rapport de domination.
– Et il commence à la maison.
– Mais c’est pour ça que ta pancarte m’a fait réagir. Le féminisme c’est bien plus que l’égalité entre l’homme et la femme. On ne peut pas se contenter de faire un rattrapage. Il faut s’attaquer à ces rapports de domination, les dénoncer, les déconstruire. Elle est là, la lutte. C’est ça, le féminisme.
– Tu veux remplacer un rapport de domination par un autre, c’est ça ?
Audrey se pique.
– C’est justement ce genre d’arguments qu’utilisent les réacs pour s’en prendre aux féministes. Ils expliquent que maintenant ce sont les femmes qui dominent les hommes. Au début, tu trouves ça marrant, leurs paniques morales. Tu peux même en faire un truc de fierté : on est des guerrières ! Mais au bout d’un moment tu t’interroges : est-ce que reprendre les mots et les raisonnements d’en face, même pour s’en moquer, ça ne sert pas l’ennemi ?
Marie-Claire s’arrête un moment.
– Tu as raison. Et on ne le fait pas qu’avec l’ennemi. On a longtemps dit : le féminisme, ce n’est pas une idéologie, c’est un état d’esprit, il peut s’adapter à toutes les doctrines, ça permet de faire l’union sacrée entre les femmes. Mais parfois, on a perdu notre âme en entrant dans ce jeu. En fait non : le féminisme irrigue et structure les autres cadres. Fini de s’adapter.
– Je me demande, répond Audrey, si ce n’est pas précisément ce qui est en train de se passer. Regarde l’effet de #MeToo… On s’en prend peut-être plein la gueule, mais au moins, le féminisme est bien là. On n’en a peut-être jamais autant parlé qu’aujourd’hui.
Universalisme et intersectionnalité
– On en parle, c’est une bonne chose, mais en même temps, j’ai l’impression que les féministes n’ont jamais été aussi divisées. Parfois, on passe plus de temps à débattre entre nous qu’à nous battre pour nous !
– C’est tendu oui mais c’est crucial je crois…
– À ce point, je ne sais pas. Moi, j’ai vraiment du mal avec certains discours….
– Quels discours ?
– L’intersectionnalité par exemple… Je comprends très bien qu’on puisse vouloir prendre en compte plusieurs facteurs d’inégalités. Évidemment qu’il n’y en a pas un seul : être femme et pauvre, femme, pauvre et noire ou arabe, ce n’est pas la même chose qu’être une femme CSP+ blanche, qui n’a aucun problème de fric dans la vie. Je crois qu’on est tous d’accord là-dessus.
– Alors quel est le problème ?
– Le problème, c’est ce qu’on en fait en tant que militant·es. Ça fragmente les luttes plus que ça les élargit. Chaque groupe court dans son couloir, défend sa cause et s’affirme comme plus stigmatisé que les autres. Il y a toujours un courant pour dire qu’il ne veut pas militer avec les autres. Il y a celles qui se définissent comme racisées et qui disent que les blanches sont priées de se taire. Il y a les TERF qui ne veulent pas entendre parler des trans dans le mouvement, et les transactivistes qui veulent « jeter les TERF » au bûcher. Franchement, il y a des moments où on est d’une violence dingue entre nous. Et à la fin, qui en profite ? Les mascus et les réacs.
– Mais tu peux comprendre que c’est aussi important de ne pas parler au nom des autres ? Il y a des luttes qui doivent être portées par celles qui ont vécu des expériences de domination spécifiques. Tu ne peux pas parler à ma place. Tu ne sais pas ce que c’est d’être un corps racisé, d’être comparée sans cesse à un animal.
– Non, je ne suis pas toi, c’est vrai, mais moi aussi, j’en ai vécu, des rapports de domination.
– Peut-être, mais pas ceux-là. Pour qu’il y ait reconnaissance et redistribution, il faut qu’il y ait représentation. Il faut que celles qui vivent ces dominations puissent prendre la parole, et que les autres ne parlent pas à leur place. Vous avez juste peur des mots… Il suffit qu’on parle de racisées pour que vous sautiez au plafond et que le dialogue se ferme. Il y a un racisme systémique en France !
– Je suis pour l’expression des femmes, dans leur diversité et leurs trajectoires de vie, leurs expériences personnelles. Mais il ne s’agit pas non plus de parler chacune pour soi. Pour moi le féminisme, c’est justement un combat pour mettre à distance le biologique, l’ordre social, l’ordre religieux. Et là, j’ai l’impression qu’on confond tout, qu’on essentialise les gens, que certaines s’enferment dans une identité.
– Prendre la parole pour raconter une expérience de domination, ce n’est pas essentialiser les gens, je ne suis pas d’accord. C’est reconnaître une communauté d’expériences.
– J’entends. Mais je trouve que certaines féministes jouent parfois sur un terrain qui n’est pas le leur. Regarde les histoires de voile…
– …Doucement, on n’est pas sur Cnews !
– Mais évidemment ! Je m’explique. Ce n’est pas moi qui irai dire qu’il y a une alliance de fait entre les féministes, les militant·es LGBT et les islamistes – c’est n’importe quoi. Mais je ne peux pas laisser dire que défendre le port du voile, c’est un combat féministe. En France, les femmes musulmanes ont parfaitement le droit de porter le voile. C’est un droit qui est garanti par la laïcité et je défendrai ce droit. Mais au nom de la laïcité, certainement pas au nom du féminisme. Et franchement, comparer l’obligation de porter le voile en Iran à l’interdiction de porter des signes religieux à l’école, je trouve ça indécent.
– Mais tu comprends qu’on s’inquiète aussi de l’amalgame entre islam et islamistes, entre musulmans et terroristes, et des conséquences que ça peut avoir, non ? Tu comprends aussi que les femmes musulmanes subissent des discriminations de dingue juste parce qu’elles portent le voile, et qu’elles ont le droit d’en parler ?
– Évidemment ! Je dis juste qu’il ne faut pas mélanger les combats. Il faut faire preuve de clarté.
Audrey pousse la porte du café en silence. Marie-Claire entre à sa suite. Le lieu est bondé, l’ambiance bon enfant. Patricia, une collègue de Marie-Claire, leur a gardé une place au fond de la salle.
– Vous parliez de quoi ? demande Patricia.
– D’universalisme…
– … de féminisme intersectionnel.
– Ouh là, ça a dû tanguer, alors !
– Bah, une histoire de générations…
– Je ne suis pas sûre, répond Patricia. Gisèle Halimi portait déjà les combats féministes et anti-racistes et avait lié les rapports de domination au moment de l’affaire Djamila Boupacha. C’était au début des années 60. Plus tard, dans les années 1980, on parlait aussi des effets de « race » à côté des effets de sexe. Je n’aime pas le mot. Mais ce n’est pas si nouveau.
– Et puis les réunions non mixtes, on en faisait aussi entre femmes, ajoute Marie-Claire, ça permettait de parler de ce qu’on subissait et de se former entre nous, sans avoir les mecs qui regardaient par-dessus notre épaule.
– En tout cas, quand on discutait de sexe et de race, on parlait aussi de classe. Et là c’est comme si elle avait disparu. À croire qu’on est en train de refaire du féminisme bourgeois !
Le féminisme est une question sociale
– C’est vrai que c’est plus difficile aujourd’hui de dire « nous, les femmes », dit Camille.
Camille, c’est une amie de Audrey, qui vient d’entrer et s’installe à son tour sur la banquette.
– Mais dans le fond, ajoute-t-elle, il y a quand même des points de convergence entre féministes : c’est la façon dont on questionne toutes les conditions qui rendent impossible l’égalité pour les déconstruire. Les inégalités socio-économiques, les inégalités de genre, les discriminations. On s’attaque au patriarcat avec des méthodologies différentes, des points de vue divergents. Ils ne sont pas toujours compatibles entre eux mais c’est ça la démocratie.
– Je vois bien la logique de ce que tu avances, Camille, dit Patricia. Mais je m’interroge : on questionne, on déconstruit, ok. Mais il y a un moment où il faut passer à l’acte. Une fois qu’on a déconstruit le patriarcat, qu’est-ce qu’on construit derrière ?
– Avec Patricia, on est assistantes sociales, précise Marie-Claire. On en connaît, des mères de famille monoparentale, qui bossent à temps partiel, avec des horaires pourris, et qui font des boulots mal payés, alors que sans elles la société ne tournerait pas. On l’a bien vu pendant le Covid : les caissières, les auxiliaires de vie, les aides-soignantes, les agentes d’entretien, les infirmières : que des meufs ! Qu’est-ce qu’on fait pour elles, comment on avance ?
– On se bat pour les une augmentation générale des salaires et pour une vraie augmentation du SMIC.
– Oui, mais ça ne suffit pas, parce que ce n’est pas normal que ce ne soit que des femmes qui fassent ces boulots, dit Audrey. Les mecs font du pognon, les meufs gèrent la misère. Il y a un énorme travail d’éducation à faire contre les stéréotypes de genre à l’école. Il faut vraiment qu’on continue de bosser sur l’orientation. Vous savez qu’avec la réforme du lycée, il y a encore moins de filles qu’avant qui suivent un parcours scientifique ?
– Les inégalités salariales continuent, ajoute Camille. À responsabilité égale, au même poste, les femmes gagnent 9% de moins que les hommes. Sur l’ensemble de la carrière, c’est 25% de moins. Donc si on n’impose pas une égalité stricte, ça ne changera pas. Et je ne parle pas des impôts. Totalement patriarcal, le système fiscal. Le ménage continue d’être la référence…
– « Le ménage » parlons-en, tiens, dit Patricia : parce que c’est bien à la maison que beaucoup de choses se jouent. On veut une égalité dans un couple ? Alors faisons un vrai congé pour le deuxième parent. Pas un truc de trois jours, ou un truc de trente jours : un truc de trois mois. C’est dès l’arrivée de l’enfant que ça se joue, le partage des tâches et de la responsabilité de parent. C’est là que les choses se compliquent.
– Et bien voilà, on peut être d’accord ! conclut Marie-Claire.
Parité et partage du pouvoir
– Excusez-moi, mais je vous écoute depuis quelques temps, et ce que vous racontez me passionne.
Une femme seule, assise à la table à côté, vient de s’immiscer dans la conversation. Elle s’appelle Louise, elle a une quarantaine d’années et ne se dit « pas spécialement féministe ».
– Le mot est trop connoté, trop raide, moi il me fait un peu peur. Mais je partage plein de choses de ce que vous dites. J’avais une question à vous poser : est-ce qu’il ne faudrait pas, déjà, qu’une femme soit élue présidente ? Qui, peu importe, mais ça ferait un exemple de réussite aux filles, ça leur donnerait envie d’y aller, vous ne croyez pas ? Et puis une femme, ça exercerait le pouvoir autrement qu’un homme. En tant que femme, elle aurait sa propre manière de faire les choses.
– Il faut faire très attention avec ça, dit Camille, tout ce qui est féminin n’est pas féministe.
– Oui, regardez Marine Le Pen : elle joue à fond la carte femme, ajoute Audrey.
– Le féminisme, dit Marie-Claire, c’est une lutte pour l’émancipation. Sûrement pas pour le rejet des autres.
– En tout cas, précise Louise, quand la loi sur la parité a été votée, ça m’a fait l’effet d’un changement énorme : enfin, on reconnaissait que la moitié de l’humanité avait le droit d’être représentée. Et puis le fait qu’il y ait des femmes à la tête de grandes villes, de grandes régions, c’est quand même un progrès, non ?
– On n’est pourtant pas au bout : une maire sur cinq est une femme. Une sur cinq ! La parité ne commence pas dès le premier habitant. Dans les intercommunalités, c’est encore plus faible. Et en plus, il y a moins de femmes à l’Assemblée qu’avant.
– Ah bon ?
– Oui, donc le risque de backlash augmente. Il suffit qu’il y ait moins de femmes une fois pour qu’il y ait moins de femmes la fois d’après. On a besoin de poser des règles.
– Ce n’est pas qu’une question de chiffres, c’est aussi une question de stéréotypes, dit Audrey. On n’en a pas fini avec les clichés : l’Intérieur, la Défense, l’Économie, le Budget, c’est pour les mecs. Les ministères sociaux et sous ministères : pour les femmes. On a besoin que les partis politiques se bougent, qu’ils forment, qu’ils comprennent que ce n’est plus tenable. Sur les droits des femmes, ils sont tous en dessous de tout.
– Tu exagères quand même, il y a eu des progrès, dit Patricia. Je suis encartée au PS, et je te garantis que c’est nettement mieux aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans. On écarte les candidats qui ont reconnu des faits ou qui ont été mis en cause ou condamnés pour viols, pour agressions sexuelles, pour atteintes sexuelles sur mineur·e, pour violences conjugales. Il y a des commissions de lutte contre le harcèlement, une cellule d’écoute pour les femmes victimes de violences…
– Enfin, les cellules d’écoute, on a vu ce que ça donnait, dit Louise. Soit on lave son linge sale en famille, soit on balance tout à la télé. Franchement, c’est un peu n’importe quoi.
– Il y a des règles à poser, dit Patricia : secret de la procédure, pour protéger les victimes, et respect du contradictoire. Et surtout, surtout, on ne se substitue pas à la justice. Le devoir d’exemplarité des partis politiques, ce n’est pas la même chose que l’interprétation du code pénal.
– D’accord, peut-être, mais moi je te parle de culture, rétorque Audrey. Là, vous corrigez les problèmes après. Toi qui parlais de construire, Patricia, qu’est-ce que vous faites pour que ça ne se reproduise pas ? Il y a une culture encore hyper patriarcale en politique. Regarde ce qui s’est passé ces derniers mois : tous ces mecs qui ont cherché à minimiser les faits de violences conjugales à la télé…
– Je n’ai pas dit que c’était terminé. Et oui, tu as raison, il y a encore des remarques sexistes, des mecs qui gardent la parole pour eux ou qui expliquent la vie aux femmes, qui leur mettent des bâtons dans les roues quand elles veulent être candidates. Les femmes sont encore obligées d’être en permanence sur leurs gardes, alors qu’elles ne devraient pas avoir à se poser la question quand elles militent et devraient se sentir en sécurité. On a besoin d’avancer sur ces questions.
– Tous les partis ont du travail à faire sur le sujet, dit Camille. Ils devraient s’appuyer sur les associations, les expert·es des VSS.
Violences sexuelles et sexistes, police et justice
– Enfin, il faut quand même reconnaître que #MeToo a vraiment changé la société, dit Marie-Claire.
– Pour moi, c’est même l’un des moments les plus importants de ce début de siècle, ajoute Camille. Peut-être le seul vraiment positif. Parce que des crises, on en a eu, mais de vrais progrès dans la société, pas tant que ça.
– C’est une vraie libération de la parole.
– Pas de la parole : des oreilles ! Enfin, on entend les femmes. Mais elles parlaient déjà bien avant.
– Vous avez vraiment l’impression que ça a progressé, vous ? demande Louise. Moi je pense à Christine, une de mes amies qui a subi de harcèlement au travail en silence, parce qu’elle avait peur de perdre son boulot. Je pense à elle et à toutes les autres qui se ne savent pas vraiment vers qui se tourner, à quelle association en parler. Il y en a encore beaucoup.
– Dans notre boulot, on a quand même vu la différence, dit Marie-Claire. Depuis MeToo, les femmes se sentent plus autorisées à parler et il y a davantage de dépôts de plaintes. Il y a des outils qui nous ont aidées, comme le violentomètre, que la Ville de Paris a été la première à mettre en place. Il permet à chacune de prendre conscience de la continuité des violences. Et nous, en tant que professionnelles, c’est certain qu’on est beaucoup plus vigilantes. Mais à côté de celles qui parlent, il y a toutes celles, comme Christine, qui n’osent pas. On n’y est pas encore.
– On manque d’ailleurs de places d’hébergement d’urgence pour les femmes et les enfants victimes de violences, ajoute Patricia. Avec la politique du gouvernement, ça ne va pas s’arranger.
– Si on veut éradiquer les violences sexistes et sexuelles, il faut un vrai plan et de vrais moyens. Un milliard contre les violences conjugales, comme en Espagne ! C’est le minimum
– Il y a du mieux dans les commissariats et dans les tribunaux. Mais si la justice n’a pas les moyens de travailler correctement, ça n’avancera pas, dit Camille. Pour réclamer plus de moyens, on devrait converger dans nos luttes !
– On peut élargir le sujet à beaucoup d’autres enjeux d’ailleurs, dit Patricia. L’ aménagement des quartiers, par exemple, est-ce qu’ils sont pensés pour que les femmes se sentent en sécurité ? Ce sont toujours les hommes qui dominent l’espace public tandis que les femmes se dépêchent de le traverser. Le harcèlement de rue, ça revient à interdire l’espace public aux femmes par intimidation. Même chose pour les écoles : quand des maires ont commencé à dire que les cours étaient faites pour les garçons, tout le monde a ricané. La vérité, c’est que quand tu modifies l’environnement, tu modifies les comportements, et tu fais progresser l’égalité.
– Pour moi, l’éducation, c’est la base, dit Audrey. Des copains qu’on a dû rappeler à l’ordre pour une remarque sexiste, des filles qui ne réalisent qu’après coup qu’il y avait un problème… tu parlais de plan, là aussi on a besoin d’un plan.
– C’est clair qu’on ne peut pas se contenter de mettre en garde les filles contre les violences patriarcales, ajoute Louise, il va falloir sérieusement changer l’éducation des garçons…
Virilisme
– Et comment on peut vous aider à faire ça ?
C’est un homme, cette fois, qui se permet d’interrompre l’échange. Il s’appelle Maxime.
– J’ai trente ans, et je peux vous dire que #MeToo, ça m’a pas mal obligé à me poser des questions. Et on est quand même pas mal dans ce cas.
– On te prend en flagrant délit de manterrupting, là, sourit Camille. Tellement cliché un mec qui interrompt des femmes…
– Il y a un truc que tous les hommes pourraient faire : accepter de se remettre en cause. C’est pas la mer à boire, dit Louise. Reconnaître quand on a merdé, être lucide sur ses avantages objectifs. Parce que vous en avez, des avantages. Moi, mon mec, ça ne lui a jamais traversé l’esprit qu’il pouvait aller chercher nos enfants à l’école le soir ou ne pas travailler le mercredi. Quand la question s’est posée, elle s’est posée pour moi, pas pour lui. Ça c’est un avantage, tu vois. Et il y en a d’autres.
– Et tu pourrais revisiter ton parcours de genre, comme le dit Ivan Jablonka, avance Camille. Regarder dans ta vie, dans les endroits où tu as grandi, dans les films que tu as regardés, ce qui t’a construit comme mec. Ça c’est un travail d’allié.
– Plus largement, ça se joue à l’école, dans les entreprises, dans la rue : on a besoin que les mecs s’éduquent. Et pour les éduquer, il n’y a pas 36 solutions : il faut les former.
– Mais j’aimerais faire plus, m’engager.
– On ne changera pas la culture masculiniste sans vous. Mais ta place, mec, elle n’est pas en tribune, dit Audrey. Sur ces sujets, elle est derrière nous.
– Et si tu te bats pour une politique de santé digne de ce nom, pour que l’école ait de vrais moyens, pour l’égalité salariale, pour la défense de la démocratie, tu te bats aussi pour les femmes. Tu as peut-être l’impression que ce n’est pas la même chose, mais c’est aussi, indirectement, un combat féministe.
– Bon, je crois qu’on a un programme, là !
– Et j’ai bien l’intention d’aller l’imposer au PS, dit Patricia. Parce qu’il y en a marre que les femmes soient appelées pour les photos mais qu’on leur ferme la porte au nez dès qu’on entre dans les discussions stratégiques comme c’est le cas depuis des décennies. Il est temps qu’ils abandonnent ce système !
Nous exigeons et défendrons
Pour toutes les femmes :
- La mise en œuvre de tous les moyens pour valoriser (financièrement et culturellement notamment) tous les métiers très majoritairement exercés par les femmes ;
- L’individualisation de l’impôt sur le revenu et l’instauration d’une fiscalité féministe ;
- La création d’un statut pour les familles monoparentales, qui ouvrira des droits spécifiques ;
- La reconnaissance légale et la valorisation du travail domestique ;
- La mise en place d’une journée de congé menstruel ;
- L’octroi d’un congé de 5 jours en cas d’avortement ou de fausse couche ;
- La refonte de l’éducation à la sexualité, au consentement, à la découverte du corps dès l’enfance et jusqu’aux études supérieures et ce quelle que soit la spécialité (lutte contre les stéréotypes à l’école, contre la culture viriliste, éducation au consentement …)
- Un budget d’un milliard d’euros pour la lutte contre les violences conjugales ;
- Une meilleure formation des magistrats, des policiers, des cadres politiques et le développement des centres d’accueil spécialisés sur tout le territoire, ouverts 24h sur 24.
Au sein du parti et dans l’exercice du pouvoir :
- La création d’une commission de la transition féministe (veille et alerte sur la place des femmes dans l’appareil, promotion de leur rôle, l’effectivité de leur pouvoir, animation de réunions régulières de la direction consacrées à cette seule thématique etc.) ;
- Pour les législatives, sur la base des circonscriptions détenues aujourd’hui par le PS, créer les conditions de la parité absolue sur les candidatures en 2027 ;
- Pour les élections sénatoriales, présenter au scrutin de liste autant de têtes de liste femmes que d’hommes ;
- La garantie d’une égale représentation dans toutes les délégations ;
- Le partage de la présidence de tous nos groupes politiques par un homme et une femme à durée égale durant le mandat ;
- La parité totale dans toutes les collectivités et tous les EPCI.